« La mort est comme un trou noir qui s’ouvre dans la vie des familles et auquel nous ne savons donner aucune explication. Parfois, on arrive même à en attribuer la faute à Dieu. Combien de personnes — je les comprends — se fâchent contre Dieu (…) :
« Pourquoi m’as-tu enlevé mon fils, ma fille ?
Dieu n’est pas là, Dieu n’existe pas !
Pourquoi a-t-il fait cela ? »
Pape François, Audience générale, 17 juin 2015.

La mort est un scandale, une absurdité, un vrai « non-sens ». Dès les premières pages de la Bible, l’homme est destiné à la vie et à la vie éternelle. Adam « appela sa femme Ève (c’est-à-dire : la vivante), parce qu’elle fut la mère de tous les vivants » (Livre de la Genèse 3,20). Être vivant semble donc être l’essence même de l’humain. Il est aussi appelé à transmettre la vie, de manière biologique (« Soyez féconds et multipliez-vous » en Genèse 1,28), mais aussi plus largement : il est appelé à être un vivant et à répandre la vie autour de lui.1 La famille est le lieu naturel de la transmission de la vie, physique mais aussi humaine, relationnelle, sociale, religieuse… La mort l’atteint au cœur même de sa vocation d’être un lieu de vie. Quelqu’un disparaît, les liens sont rompus, la solitude et le vide sont au rendez-vous. C’est tout le contraire d’une vie familiale foisonnante, tissée de relations.
La mort est aussi scandaleuse parce qu’elle semble également contredire la toute-puissance de Dieu2 puisqu’Il ne l’empêche pas. Il n’a même pas empêché la mort infame de son Fils Jésus sur une croix… Il n’a pas stoppé la maladie de telle jeune maman, malgré la prière fervente de ses enfants ; il n’a pas évité tel accident mortel sur la route… Alors l’humain en souffrance finit par se dire que c’est parce que Dieu est du côté de la mort, que c’est Lui qui en est responsable. Pour « sauver » l’image de sa toute-puissance que nous nous faisons, nous le considérons donc comme maître de la vie et de la mort. Puisqu’il semble ne pas pouvoir empêcher cette dernière, il doit donc être celui qui en dispose à son gré… Faut-il alors se résigner comme Job devant l’annonce de la mort de ses dix enfants chéris : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris : Que le nom du Seigneur soit béni ! » (Livre de Job 1,21) ? Puisque Ben Sira le Sage l’affirme : « Bonheur et malheur, vie et mort, richesse et pauvreté viennent du Seigneur. » (Si 11,14)… Mais alors, après réflexion, on se reprend, car quelque chose au fond de nous nous dit que ce n’est pas juste d’attribuer la mort à un Dieu qui par ailleurs se déclare être un Dieu Créateur et Sauveur (Livre d’Isaïe 54,5), un Dieu plein d’amour : « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour » (Psaume 144,8).

Ce dilemme qui est le nôtre, traverse également les pages de la Bible. Deux visions y sont présentes simultanément : une qui attribue la responsabilité de la mort à Dieu et l’autre qui professe le Dieu de la Vie. De manière étonnante, elles se bousculent par exemple dans le même livre, celui de la Sagesse : « Toi, tu as pouvoir sur la vie et sur la mort, tu fais descendre aux portes des enfers, et tu en ramènes. » (Sg 16,13), « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent ; ce qui naît dans le monde est porteur de vie. » (Sg 1,13-14) Cependant, dans la première affirmation, nous remarquons une ouverture : « tu en ramènes ». Ainsi, se profile la foi en un Dieu que la mort ne limite pas et qui a le pouvoir de redonner la vie. Il n’efface pas la mort d’un coup de baguette magique, mais il fait avec et la dépasse. Ainsi, le psalmiste exprime sa confiance et son espérance que Dieu s’engage activement contre la mort : « Mais Dieu rachètera ma vie aux griffes de la mort : c’est lui qui me prendra. » (Psaume 48,16) Ce qu’affirmera également saint Paul en parlant de la mort en termes d’ennemi : « le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort. » (1e Lettre aux Corinthiens 15,26) En même temps, un pressentiment s’affirme que cette vie redonnée sera autre, cette fois-ci sans limites, comme l’affirme, au IIe siècle avant Jésus-Christ, l’un des sept frères martyrs d’Israël devant son bourreau : « Puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle. » (2e Livre des Martyrs d’Israël 7,9)
L’hésitation si Dieu est ou pas responsable de la mort se déplace ensuite vers l’hésitation concernant la résurrection : y en a-t-il ou pas ? Au temps de Jésus, les deux grands courants du judaïsme s’opposent là-dessus : les saducéens ne croient pas en la résurrection des morts contrairement aux pharisiens (cf. Évangile de saint Marc 12,18 ; Actes des apôtres 23,6-8). L’entourage de Jésus est de ceux qui croient en la résurrection au dernier jour, comme l’affirme par exemple Marthe, la sœur de Lazare (Évangile de saint Jean 11,24). Cependant Jésus introduit une nouvelle donne : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » (Évangile de saint Jean 11,25) Le matin de Pâques nous livre la réponse définitive de Dieu face à la réalité de la mort : elle est vaincue en la résurrection de Jésus. Et cela devient une promesse, une espérance pour tous les croyants comme nous l’affirme saint Paul : « Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui. » (1e Lettre aux Thessaloniciens 4,14)

Ce cheminement biblique que nous venons d’esquisser est aussi le nôtre : face à la mort (la nôtre et celle de nos proches) et au deuil, nous avons la tentation de nous en prendre à Dieu : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ? » Une réaction très primaire nous rattrape dans ces moments de souffrance et nous sommes tentés de considérer la mort comme une punition divine. Si nous en restons là, le risque est grand de se fâcher sérieusement contre Dieu et de rompre les ponts. Ce réflexe a besoin d’être évangélisé. Il faut du temps pour que notre douleur se laisse consoler par l’Évangile et commence à se transformer en espérance – personnelle – de la vie éternelle. Cela n’annule pas le travail de deuil, l’apprivoisement de la solitude et de la tristesse. Même si l’espérance (inouïe) de la résurrection est là, même si l’espoir de retrouver ceux que nous aimons est présent. Jésus, qui est la Résurrection, a expérimenté le désarroi et le chagrin et « se mit à pleurer » (Évangile selon saint Jean 11,35) devant le tombeau de son ami Lazare décédé.
Dans nos relations avec nos proches, l’événement de la mort introduit un vide dans la famille. Il manque quelqu’un. Notre premier réflexe peut être d’essayer de le combler. Or, il s’agit d’apprivoiser le manque après la disparition de la personne aimée, sans chercher à le combler artificiellement. Autrement, nous risquons de traiter les autres comme des remèdes à notre souffrance et leur faire remplir un rôle de « remplaçant » qu’ils ne pourront jamais satisfaire. C’est ce qui se passe avec le patriarche Isaac qui se console avec Rébecca après la mort de sa mère Sara : « Isaac introduisit Rébecca dans la tente de sa mère Sara ; il l’épousa, elle devint sa femme, et il l’aima. Et Isaac se consola de la mort de sa mère. » (Livre de la Genèse 24,67) ou avec Ève qui considère son fils Seth comme un remplaçant d’Abel : « Dieu m’a accordé une nouvelle descendance à la place d’Abel, tué par Caïn. » (Genèse 4,25) Mystérieusement, avec la grâce de Dieu, notre souffrance peut élargir l’espace de la tente de notre cœur, comme chez Marie qui au pied de la croix prend Jean pour fils et avec lui tous les membres de l’Église naissante. L’ouverture du cœur de Marie devient universelle et se concrétise dans ce titre qu’on lui donne volontiers « Marie, mère de l’Église ».
Cette ouverture du cœur est déjà une vraie résurrection, un chemin de vie. Spirituellement, elle n’est possible que si notre révolte se laisse consoler. C’est la conversion que nous sommes appelés à vivre au cœur de notre souffrance : abandonner l’image primaire d’un Dieu qui punit, qui envoie la mort et opter pour la confiance en un Dieu consolateur tel que Jésus nous l’a manifesté et que le psalmiste avait déjà expérimenté : « Et moi, dans mon trouble, je disais : “Je ne suis plus devant tes yeux.” Pourtant, tu écoutais ma prière quand je criais vers toi. » (Psaume 30,23)

C’est à ce moment-là que commence en nous le chemin de la résurrection d’abord de notre cœur, de notre capacité à être en relation et qui un jour culminera dans un rassemblement joyeux avec nos proches aux Noces du Royaume, là où Dieu « essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur » (Apocalypse 21,4).
[1] Le respect de la valeur de la vie humaine distingue ainsi Israël des peuples voisins qui pratiquent les sacrifices humains. L’offrande d’Isaac – que Dieu empêche – l’illustre (Genèse 22,18). Le prophète Jérémie se fait porte-parole de Dieu : « Ils ont édifié, au Val-de-la-Géhenne, les lieux sacrés de Baal pour y faire passer par le feu leurs fils et leurs filles en l’honneur de Moloch. Cela, je ne l’ai pas ordonné, ce n’est pas venu à mon esprit. Commettre une telle abomination, c’est faire pécher Juda ! » (Livre de Jérémie 32,35)
[2] Pourtant c’est le seul attribut de Dieu proclamé à deux reprises dans le Symbole des apôtres : « Dieu, le Père tout-puissant ».
Pour aller plus loin :
- Aux numéros 253-258 de l’exhortation La joie de l’amour le Pape parle de l’expérience de la mort en famille ;
- Le 17 juin 2015, le Pape a consacré une catéchèse lors de l’audience générale, à la mort en famille.
- Une idée de lecture pour les enfants pour aborder la mort : « Pourquoi c’est comme ça ? » https://livre.les-avions-de-sebastien.be/
Service de la Formation
Vicariat du Brabant wallon