Un mot pour commencer sur l’auteur de cet Évangile. Dans le texte de l’Évangile de Matthieu, l’auteur se décrit lui-même (13,52), en évoquant un « scribe devenu disciple du Royaume des Cieux, comparable au maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien ». Ce qui fait dire à certains commentateurs qu’il s’agirait probablement d’un juif devenu chrétien et responsable d’une communauté chrétienne qui a su tirer des traditions sur Jésus leur sens pour « aujourd’hui » tout en restant fidèle aux racines de sa foi juive. La tradition chrétienne du 2e siècle a estimé que « Matthieu le publicain » (10,3) pourrait être lui-même l’auteur de l’Évangile. Mais cette hypothèse accuse une très grande faiblesse. Car, la science biblique que l’on découvre sous la plume de l’évangéliste serait difficile à attribuer à un publicain.
La communauté à laquelle l’Évangile de Matthieu est destiné se compose des membres d’origine variée. Il y a des chrétiens issus du judaïsme, fidèles à leurs racines et soucieux de leur identité judéo-chrétienne. Mais on y trouve aussi des chrétiens qui veillent à la conservation de leurs pratiques et traditions. Si l’évangéliste a un immense respect pour les chrétiens soucieux de leur identité judéo-chrétienne, il opte résolument pour une Église ouverte à toutes les nations, invitant les missionnaires à se préoccuper davantage du témoignage de leur fidélité personnelle au Christ (10,24-25) que de l’accomplissement des performances religieuses (cf. 23,1-12). On devine tout de suite que la communauté de Matthieu « a besoin d’humbles modèles plutôt que de grands chefs ». Et on comprend d’autant mieux les attaques contre les scribes et les pharisiens. Celles-ci sont une dénonciation du cléricalisme qui s’insinue dans la communauté (23,1-12).
En conséquence, le Jésus de Matthieu paraît d’une très grande tendresse à l’égard des petits, des affamés, des marginaux de la religion et de la société et d’une rare violence à l’égard de ceux qui écrasent les faibles. D’autres accents spécifiques permettant de découvrir la personne de Jésus sont également mis en évidence. Matthieu désigne Jésus comme le Christ (le Messie), le Fils de David, le Fils de l’homme. Il n’est pas venu abolir les Écritures, mais les accomplir et leur donner une plénitude de sens. C’est pourquoi le Jésus de Matthieu est par définition le maître, l’enseignant. Il a reçu du Père la mission de proclamer l’avènement du Royaume des Cieux, un projet gigantesque pour lequel toute autorité lui a été donnée. Matthieu lui confère les traits du juge. Mais s’il jouit de toutes ces prérogatives, c’est parce qu’il a choisi d’obéir en tout à son Père jusqu’à verser son sang. Pour Matthieu, Jésus est aussi l’Emmanuel (c’est-à-dire « Dieu avec nous » (Mt 1,23) promis à Israël. Cette identité qui apparaît au début de l’Évangile revient aussi à la fin : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (28,20).
Plusieurs structures différentes de l’Évangile de Matthieu sont proposées par les commentateurs. Ils s’accordent néanmoins sur le fait que les cinq grands discours de Jésus structurent l’ensemble de l’Évangile. Ces grandes prises de paroles auraient comme fil conducteur la question du Royaume. Le premier discours peut se comprendre comme une annonce du Royaume ou une charte du disciple qui se met à la suite du Christ (chap. 5 – 7) ; le disciple sera missionnaire du royaume (chap. 10) ; puis, dans un discours en parabole, Jésus montre à quoi ressemble le Royaume (chap. 13) ; ce royaume se vit déjà à l’intérieur l’Église qui prépare la vie fraternelle comme un avant-goût du Royaume (Chap. 18) ; et finalement, il y a le dernier jugement, même si eschatologiquement le Royaume ne s’achève pas (chap. 24 – 25). Avant le dénouement espéré, le fils de l’homme qui vient d’être présenté comme souverain juge va subir la Passion, et le troisième jour, il ressuscitera (26 – 28).