FAMILLES DE LA BIBLE – FAMILLES D’AUJOURD’HUI Il faut que jeunesse se passe (8/11)

L’adolescence est un passage délicat qui vient bousculer la vie d’un enfant, mais aussi celles de ses parents et de sa famille. L’enfant franchit une étape dans sa croissance qui peut être difficile à vivre pour chacun. L’ambiance à la maison peut se faire électrique : on ne se comprend plus… Quel éclairage la Bible apporte-t-elle sur le sujet ?

Mettons-nous à l’écoute de la plus longue parabole des évangiles, celle dite du fils prodigue (Lc 15,11-32). C’est l’histoire d’un fils qui veut inopinément quitter la maison. N’est-ce pas l’aspiration de l’adolescent de sortir du cocon familial, en quête d’autonomie, de « liberté », pour vivre sa propre expérience, loin du contrôle parental ?

« Un homme avait deux fils. »

Document en format PDF : Méditation biblique – Adolescence  

La parabole nous introduit dans le quotidien d’une famille dont nous ne savons finalement pas grand-chose, si ce n’est qu’un homme avait deux fils. Rien de plus. Nous ne savons pas si ces trois personnes sont heureuses ensemble ou si les relations sont conflictuelles ; nous ne savons rien de la mère : le récit ne l’évoque nulle part. Est-elle décédée ? A-t-elle quitté la maison ? Le père semble seul à mener la barque… Il ressemble à tant de parents d’aujourd’hui qui tentent de faire de leur mieux avec la situation telle qu’elle est, conscients qu’ils ne sont pas parfaits.

« Le plus jeune dit à son père :“Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.”
Et le père leur partagea ses biens. »

 

 

Un jour, nous ne savons pas pourquoi, le plus jeune des fils souhaite quitter la maison familiale. À aucun moment, le récit ne sous-entend que la vie chez son père ne lui convenait pas ou plus. Il n’est nulle part question d’une réalité à fuir. Le récit nous dit juste qu’un beau jour, le cadet réclame à son père une avance de sa part d’« héritage ».

L’expression « part d’héritage » ou « part de fortune » que nous trouvons dans nos bibles traduit mal le grec ousia des manuscrits anciens. En effet, ce terme ousia ne désigne pas une réalité matérielle ou financière, mais plutôt un moyen d’être : le fils réclame à son père non pas un avoir, mais un être, un droit à exister par lui-même.

« L’adolescence est le point de bascule du risque
qu’il faut laisser courir (à ses enfants) :
les premières fois loin de notre vigilance.
La transmission de la responsabilité.
Or, la responsabilité ne se donne qu’en s’abandonnant.
 »

(Marion Muller-Collard)

Son père consent, sans dire un mot, en lui partageant « ses biens ». Mais à nouveau, il s’agit de la traduction d’un terme grec, bios, littéralement « la vie », donc quelque chose d’immatériel . Plus que de l’argent, le fils désire quitter l’enfance, pour conquérir son propre territoire. Il veut désormais être le garant de sa vie.

Pour rendre cela possible, le père s’efface et laisse à son fils la responsabilité de sa vie. Il part, prend distance, autant que son fils. Il donne la vie en partage. « Il faut qu’il croisse et que je diminue », comme dans le rapport de Jean-Baptiste avec Jésus.

Ce qui frappe dans le récit est le silence et la solitude dans lesquels la décision est prise et mise en pratique, l’absence de dialogue entre le fils et son père. Bien sûr, en gardant le silence, le père évite sans doute que la situation ne tourne au drame… Mais en même temps, aucun mot d’amour, d’encouragement, de conseil ne nous est relaté. Aucun geste de tendresse non plus. Aucun au revoir. Nous avons l’impression qu’il laisse faire son enfant, sans chercher à comprendre ou à le retenir. Le père a choisi la solution qui lui semblait la meilleure pour lui à ce moment-là : se taire.

Du côté du fils aussi règne le silence. Le fils ne fait aucun reproche à son père. Il ne donne aucune justification à sa décision. Aucun mot d’amour, de déculpabilisation, ni même de haine ou de colère. Aucun au revoir non plus. Personne ne dit rien, semble-t-il. Peut-être est-ce une habitude dans cette famille de taire ses sentiments, ses émotions, son mal-être, ses désaccords ? Fuir… plutôt que d’ouvrir son cœur, d’oser une parole, de professer un désir, un manque, voire une colère. Pouvons-nous les blâmer ? Il n’est pas toujours facile de trouver les mots qu’il faut, qui ne vont dire sans blesser. Parfois ils ne viennent pas tout de suite et le silence se révèle un moindre mal…

Le fils se met donc en route vers un autre pays, le sien… Bien vite, il dilapide son moyen de subsistance… et lorsqu’une famine survient, le voilà dans le besoin. C’est l’estomac vide qu’il prend la décision de revenir tout penaud vers son père, espérant que celui-ci le prenne en pitié… Le fils prépare son discours, il pèse ses mots. Il s’apprête à parler à son père, ce qu’il n’avait pas fait avant son départ. La parole naît dans son cœur. Il parvient à mettre des mots sur son ressenti qu’il est à présent prêt à partager à son père.

« Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai :
Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
 »

 

 

 

Son père l’accueille chaleureusement. C’est comme si cette proximité (re)trouvée vis-à-vis de son père, ou le souhait d’y revenir, restaurait en lui son image, son estime de lui-même. Cette fois, son père laisse lui aussi éclater ses sentiments : il court, se jette à son cou et l’embrasse tendrement.

Il va aussi sortir le grand jeu et organiser une grande fête pour célébrer le retour de son fils. Il dit à ses serviteurs :

« Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller,mettez-lui une bague au doigt et des sandales

 aux pieds,allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons,
car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie.
 »

 

Pour la première fois, le père parvient à dire quelle a été sa souffrance : son fils était mort et il est revenu à la vie. Le père semble maintenant libéré, par la parole. Comme son fils, il est parvenu à mettre des mots sur ce qui rongeait ses entrailles. La relation qui était morte renaît : elle jaillit de la parole retrouvée.

« Le dialogue est une manière privilégiée et indispensable de vivre, d’exprimer et de faire mûrir l’amour, dans la vie matrimoniale et familiale. Mais il suppose un apprentissage long et difficile. »
Pape François (Amoris Laetitia n°136)

On dirait qu’il aura fallu le départ de son fils pour débloquer une relation qui semblait dans une impasse depuis trop longtemps. La séparation a permis la traversée du désert relationnel : le retour du fils exprime le désir de renouveler le lien. Il s’accompagne d’une profusion de paroles et de sentiments exprimés de la part du père… signe de la surabondance du Royaume ? Pour célébrer ce retour à la vie, le pain et le vin seront partagés.

« Au commencement était la Parole »
dit saint Jean au début de son évangile

 

 

Service de la Formation
Vicariat du Brabant wallon

Bibliographie – Pour aller plus loin :

  • Marion Muller Collard, Les grandissants, Labor et Fides, 2021.
  • Lytta Basset, La joie imprenable, Albin Michel, 2004.

 

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