L’icône choisie pour entrer dans la fête de la Pentecôte nous vient du monastère de Saint-Cyrille-Belozersky, l’un des plus anciens de Russie. L’œuvre date de la fin du XVe siècle et représente la descente de l’Esprit. Nous allons voir que, comme toute icône, celle-ci est bien plus qu’une œuvre d’art : elle veut nous amener au-delà du récit biblique, en donnant à la scène une portée théologique et une profondeur spirituelle. Laissons-la nous parler…

Nous voici en présence d’une assemblée de douze hommes assis sur une banquette en demi-cercle. Au-dessus d’eux, un discret soleil duquel émane douze rayons de lumière qui descendent vers ces hommes, six vers la gauche et six vers la droite. L’œuvre se veut symétrique et harmonieuse.
Nous devinons que nous nous trouvons au Cénacle, lors de la Pentecôte. Certains apôtres lèvent la tête vers le ciel, d’autres se regardent entre eux. Le calme et la paix semblent régner : point de vent violent dont font écho les Actes. C’est un premier indice qui nous porte à regarder au-delà du récit biblique. Rappelons-nous… Au soir de la Passion, lorsque Jésus annonce à ses disciples qu’il leur enverra l’Esprit, il ajoute : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix (…) Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé » (Jn 14,27). Recevoir l’Esprit du Père s’inscrit dans la paix laissée par le Fils : le don de Dieu ne s’impose pas par la violence. L’Esprit est discret toujours respectueux de l’homme : « si tu veux… »
Autre indice qui nous entraîne plus loin que l’Écriture : la présence de douze hommes. Douze ?!? Ne devraient-ils pas être onze, Judas les ayant quittés ? Qui est l’intrus ? Où se cache-t-il ? Un regard attentif nous le fait découvrir aux côtés de Pierre. Ce dernier est reconnaissable à ses cheveux courts et à sa barbe blanche : il se tient en haut à gauche. Face à lui, se trouve non pas Matthias, mais bien Paul identifiable grâce à sa longue barbe brune et à sa calvitie.
Historiquement, la conversion de Paul sur le chemin de Damas est postérieure au jour du baptême des apôtres dans l’Esprit saint… mais la Pentecôte marque la naissance de l’Église : le Christ est remonté auprès du Père qui envoie l’Esprit de vérité promis aux disciples. Dès lors, si la Pentecôte marque le début de l’Église, comment imaginer Paul (théologiquement) absent de cet événement fondateur, lui qui a été une colonne incontestable de l’Église primitive ? L’auteur de l’icône l’a donc installé aux côtés de Pierre : il appartient au cercle des apôtres et siège ici à égalité avec eux, au soir de Pentecôte. « Paul, appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ Jésus… » (1 Co 1,1).
Les apôtres sont installés en demi-cercle. Cette disposition était fréquente durant l’Antiquité : elle rappelle celle d’un pédagogue qui enseigne ses disciples. Pensons aux traditionnelles représentations de Platon et d’Aristote, dans les écoles de philosophie dans la Grèce antique. Ici, le centre semble vide. Pierre est bien le seul à porter un vêtement doré qui le distingue des autres protagonistes, mais il est assis à côté d’eux, à leur niveau… On reconnaît sans doute saint Jean en rouge à l’avant-plan mais lui aussi se mêle aux autres. Paul, grand prédicateur, est lui aussi assis auprès de ses confrères. Aucun apôtre n’est au centre ou au-dessus. Aucun n’est le chef ou le maître des autres. Dans l’Église, personne, ni aucune mission n’est au centre, au-dessus des autres : toutes s’articulent dans une communion reçue d’un même Esprit, prenant sa source dans le Christ.
Dans notre icône aussi : le centre du demi-cercle est laissé vide car c’est le Christ qui est, de manière invisible, le centre. Ne leur avait-il pas dit : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous » (Jn 14,18) ? Ou encore : « Lorsque deux ou trois se réunissent en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20). Le Christ est la Tête de l’Église. C’est lui qui enseigne ses apôtres, par le don de l’Esprit. « Le Paraclet, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14,26).
Cet Esprit va accompagner les apôtres dans la mission qui leur a été confiée. Chacun tient en effet en main son rouleau, symbole de la Parole de Dieu qu’ils sont appelés à transmettre et à manifester au monde. À chacun son rouleau. À chacun est confié une mission particulière, pour qu’ensemble, la Parole prenne Corps.
Ce demi-cercle d’apôtres n’est pas fermé : il y a non seulement l’autre demi-cercle en vis-à-vis, mais aussi une place laissée vide entre Pierre et Paul. Bref, il reste beaucoup de place… L’Église n’est en effet pas un cercle fermé, un groupe privé d’amis : elle se veut ouverte à tous ceux qui souhaitent rejoindre les ouvriers de la premier heure et travailler à la vigne. Les services à rendre dans l’Église et surtout au-delà sont nombreux : il y a place pour chacun.

Aux pieds des apôtres, une cavité noire abrite un mystérieux personnage portant une longue barbe et une grande couronne. Sur d’autres versions de cette icône, une inscription grecque est accolée à cet illustre personnage : o kosmos, autrement dit l’univers. Ce roi représente le monde entouré par l’obscurité du péché et de la mort.
Entre les mains, il tient un linge qui contient douze rouleaux : ces même douze rouleaux de la prédication apostolique que les apôtres tiennent en main. Ce linge a une forme qui rappelle celle d’un navire. Figure-il la barque de l’Église, destinée à rejoindre le monde en lui apportant la bonne nouvelle ? En ce jour de Pentecôte, puissions-nous entendre à frais nouveaux cet envoi en mission :
« Allez par le monde entier
proclamer l’Évangile
à toutes les créatures »
(Mc 16,15)
Service de la Formation
Vicariat du Brabant wallon
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