ART & FOI
Vendredi saint

Dans ce tableau de P.P. Rubens – La montée au Calvaire – nous pouvons distinguer un axe vertical que nous pourrions appeler : l’axe du mal et son triomphe apparent. Et puis au centre du tableau, une série de personnages forment un ovale : l’ovale de la compassion, victoire de l’amour.
Cette montée au Calvaire, serait-ce la victoire du mal et de la haine ?
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?… »
Ce psaume 21, ô Christ, tu vas en murmurer les mots dans un instant.
Dans cette montée au Calvaire, tu te sens raillé par la foule, rejeté par le peuple.
La bannière de César flotte au vent d’un ciel tourmenté, comme pour affirmer l’apparent pouvoir des puissants…
« Alors, où est-il ton Dieu ? », doivent se dire en ricanant scribes et pharisiens.
Derrière toi, on malmène les deux larrons, frères avec toi de tant de suppliciés d’hier et d’aujourd’hui. L’un poussé, l’autre tiré par des soldats sans doute impatients d’en finir.
Toi, tu viens de chuter sous le poids de ta croix.
Et voilà que tu tournes la tête vers les spectateurs que nous sommes.
Serait-ce moi que tu cherches du regard ?
« Ô mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? » dit l’Office du Vendredi-Saint.
Allons-nous t’abandonner en nous résignant devant le mal ? Allons-nous participer à cette culture de l’indifférence qui tue, comme dit le Pape François ?
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Mais le Psaume 21 continue et voilà qu’il proclame soudain : « Tu m’as répondu ! Le Seigneur n’a pas rejeté le malheureux… Tu seras ma louange » (v. 22b et suivants). Où es-tu donc, ô mon Dieu, dans nos « vendredi-saint » ?

Au centre du tableau, le Christ est à genoux, mais tout entouré de compassion et d’amour : dix regards sont tournés vers lui, l’entourant d’une aura de lumière.
Des femmes sont là, leur enfant dans les bras. Il leur était pourtant interdit d’entourer de lamentations un condamné à mort. Elles sont là quand même ; elles ont pris le risque de la proximité pour toi qui si souvent a été attentif et compatissant envers elles.
Marie, de bleu vêtue, se précipite vers toi comme pour retenir ta chute.
Elle pleure avec toutes les femmes qui perdent leur enfant.
Elle qui a cru en toi, elle va t’accompagner jusqu’au bout.
« Debout au pied de la croix », elle ne t’abandonnera pas.
Il y a des jours où l’amour et la foi ne peuvent rien d’autre que cela :
Ne pas abandonner les autres. Rester là en silence et en prière.
Saint Jean soutient ta mère. Tu la lui confieras tout à l’heure.
Jusqu’au bout, tu nous confies les uns aux autres, pour tenir ensemble, en Église, fraternels, solidaires. Nous soutenant les uns les autres dans la foi, dans l’espérance et l’amour. Nous portant mutuellement dans nos chemins de joie, et nos chemins de croix en mettant notre confiance en ta résurrection.
Simon de Cyrène et son fils, les muscles bandés, retiennent ta croix.
Ils ont été embarqués dans une histoire qui les dépasse. Ils ont eu pitié de toi, un inconnu mis sur leur route. Et voilà qu’en soutenant ta croix, ils ne savaient pas quel mystère divin se jouait là. Voilà que tous deux exauçaient, et ô combien, ton dessein de bonté et de miséricorde pour tous.

Au centre, il y a Véronique et toi. Véronique qui s’avance sans peur, avec tendresse.
La légende raconte que ton visage s’est imprégné sur ce voile dont elle a essuyé ton visage… Ton visage, en tout cas, a dû s’imprégner à jamais en elle. Elle a dû à jamais le reconnaître sur le visage des souffrants mis sur sa route.
Je l’imagine poursuivre cette prière d’une autre femme prise dans la tourmente nazie (Etty Hillesum) :
« Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi,
Je continuerai à œuvrer pour toi,
Je te resterai fidèle et ne te chasserai pas de mon enclos ».
Un soldat, lui aussi, se tourne vers toi. De sa lance, voilà qu’il cherche comme à te protéger du recul d’un cheval.
Toi, ô Christ, toi qui sais toute chose, tu sais ce qu’il y a dans le tréfonds du cœur de l’homme… et dans le mien. Tu sais que, de celui de qui on ne l’attendait pas, peut jaillir un rai de lumière inattendu comme ce cri du larron dans un moment, ce « Jésus, souviens-toi de moi ! » Ou cet élan de foi du centurion qui jaillit du pied de la croix et reconnaît ton mystère caché : « cet homme était vraiment le fils de Dieu ! »
Tous ces visages, toute cette tendresse, ne sont-ils pas la révélation que, même au creux de nos nuits et de nos épreuves, ton Esprit est à l’œuvre et que des cœurs parfois inconnus de nous lui ouvrent le meilleur d’eux-mêmes. L’Esprit-Saint, celui qui engendre compassion, audace, solidarité pour que la mort et la haine n’aient pas le dernier mot. Ces dix visages ne sont-ils pas les reflets vivants de ta résurrection à l’œuvre et qui déjà relève.
Aujourd’hui, ton regard se tourne vers moi, tes yeux m’interrogent : qui enverrais-je à mes frères et mes sœurs en humanité pour être signes de ma résurrection ? Pour être sacrements de cet amour, de ce pardon, de cette fraternité universelle qui, avec toi, seront plus forts que la haine ?
Tu sais ma fragilité, mes hésitations. À moi aussi, tu pardonnes et me relèves. Attire-moi du côté de cette lueur de Pâques que tu viens mettre en nos cœurs. Que ton Esprit nous donne d’être comme ces femmes, comme Marie, comme Jean, comme Simon de Cyrène, comme le centurion… si proches, si aimants de toi et de tous.
+ Jean-Luc Hudsyn
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